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jeudi 20 octobre 2016

Stratford, quartier déshérité de l'est de Londres, deviendra en 2012 le "centre de la planète"

L'immense statue de Kelly Holmes, l'Union Jack couvrant ses épaules, écrasant la gare ferroviaire et de métro de Stratford, symbolise par excellence le choix de Londres pour accueillir les Jeux olympiques d'été 2012. A l'instar de la capitale, cette athlète a gagné coup sur coup les 800 m et le 1 500 m aux Jeux olympiques d'Athènes, en août 2004, grâce à un sprint final époustouflant. L'exploit londonien, en tout cas, a réveillé le bourg de Newham. Dans la grand­rue, pas un pub, pas une vitrine de commerçant, pas un bâtiment public qui n'arbore fièrement le "Thank you" (merci), le nouveau slogan de "London 2012" . Ce "village" de 250 000 âmes, qui doit accueillir l'Olympic Park Zone, le principal complexe olympique, se sent désormais pousser des ailes.
Commençons par le haut. Par le toit de Holden Point, une tour HLM située à quelques encablures de la gare qui offre le meilleur panorama sur la Lower Lea Valley. La vallée de la rivière Lea est au coeur des installations qui devront être construites. A gauche et à droite du chantier de Stratford International, terminal de l'Eurostar en voie d'achèvement, s'élèveront le stade d'athlétisme, le village des athlètes, la piscine, le vélodrome, le complexe de hockey et le centre de presse.

PRIX IMMOBILIER EN HAUSSE
Au loin, le skyline des gratte­ciel de la City et de sa soeur jumelle, Canary Wharf, symboles du dynamisme de cette capitale chère aux milieux d'affaires internationaux. Au­delà, à l'ouest, se profilent les quartiers bourgeois. Le traditionnel face­à­face pauvres­riches. Carrosseries vides farcies de monceaux de canettes de bière, trottoirs crissant de vitres émiettées et boîtes légères des hamburgers ouvertes : la Lower Lea Valley est actuellement une énorme zone en friche, un vaste dépotoir, le royaume des ferrailleurs. Stratford, son chef­lieu, est le paradis de l'aide sociale. Au pays du plein­emploi, le taux de chômage est de 35 % dans les sombres blocs de béton années 50 où s'agglutinent les laissés­pour­compte du blairisme. C'est une sorte de tranche napolitaine, avec un bout de Bangladesh par ici, un bout d'Antilles par là, et des relents de cuisine africaine.
"Grâce aux Jeux, cet endroit va être doté de nouvelles infrastructures routières et ferroviaires. Les quartiers aujourd'hui disloqués pourront être réhabilités. Le tissu commercial délité sera reconstitué" : pour le maire de Newham, sir Robin Wales, la décision de Singapour a fait de ce bourg du bout du monde le centre de la planète.
Fin connaisseur des moeurs locales, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire local, Newham Recorder , Pat Coughtrey, préfère évoquer "une cerise sur le gâteau" . Le chantier de la Lower Lea Valley s'intègre dans un vaste plan de rénovation urbaine, le Thames Gateway Project, les Portes de la Tamise. Entre Tower Bridge et l'estuaire de la Tamise, des sommes colossales sont investies pour créer logements, bureaux, espaces verts et zones industrielles. Le mastodonte Stratford City, qui doit coûter 2,5 milliards de livres sur dix ans, est appelé à devenir le plus grand centre commercial d'Europe.
Alors que les prix de l'immobilier londonien chutent, à Stratford le prix des maisons a grimpé de 3% depuis début juin, quand la candidature de Londres a été dopée par le rapport élogieux de la commission d'évaluation du CIO. A écouter l'agent immobilier Martin Fox, les jeunes Londoniens devraient se jeter sur les nouveaux blocs d'appartements qui ceinturent la gare de Stratford : "Quand j'ai débuté ma carrière ici, il y a vingt ans, je ne m'occupais que de locations à des assistés sociaux dont le loyer était payé par la Sécu. Aujourd'hui, le gros de ma clientèle est composé de
cadres moyens."
Mais le bonheur des uns fait le malheur des autres. En l'occurrence, les quelque trois cents PME basées dans la vallée, désormais condamnées à être expropriées. Onze mille emplois pourraient ainsi disparaître. "C'est le coup de massue. Je serai obligé de licencier la majorité de mon personnel. Tout cela pour trois semaines de divertissement" : Lance Forman, directeur général d'une entreprise familiale de saumon fumé, priait pour une défaite de Londres. Fondée en 1905 par son arrière grand­père, la société de Marshgate Lane devra déménager.
Le même sort attend les locataires de la Clays Lane Cooperative, une coopérative dont les maisons seront entièrement rasées en vue de bâtir le village olympique. Sous la ligne à haute tension jouxtant un revendeur de pneus usagés, est installé un camping de Gitans. Ne parlez pas des JO à Sandra, une fille enceinte de dix­huit ans, son aîné à la main : "La municipalité cherchait à nous expulser. Malheureusement, cette décision lui donne l'occasion rêvée de nous faire décamper rapidement." Marc Roche ­ STRATFORD de notre envoyé spécial
Le monde| 07.07.2005 à 16h42 • Mis à jour le 12.11.2007 à 15h25